Naufrage du trois-mâts barque Guéthary
Naufrage du trois-mâts barque Guéthary
Echouement et perte sur l’île de Chairn (Ecosse) du 3 mâts Guéthary, capitaine Louis Pédron.
Exposé des faits :
Dans la nuit du 20 au 21 octobre 1914, le trois-mâts Guéthary venant de La Praïa (îles du Cap Vert) louvoyait pour entrer dans la mer d’Irlande. Vers 2 h 30 du matin, le navire se trouvait à 5 milles environ dans le sud de l’île de Chairn, îlot partant un feu, situé à proximité de la pointe Sud-Est de l’île du Canal du Nord. Voulant éviter d’être drossé dans un canal étroit, le capitaine vira de bord lof pour lof. Au cours de cette évolution, la brise ayant refusé, un deuxième virement de bord s’imposa au navire, la nouvelle bordée qu’il courait étant devenue dangereuse.
Le trois-mâts n’obéissant pas à la barre et entraînée par un courant violent courut sur la terre sans pouvoir achever son évolution et se jeta sur la pointe de l’île de Chairn où il fut considéré comme perdu et abandonné.
L’équipage entier fut sauvé. Tels sont exposés les faits par le rapport de mer du capitaine Louis Pédron, seul document circonstancié mis à la disposition de la commission locale de Rouen.
Procédure :
Cette commission n’a pu interroger ni le capitaine ni aucun homme de l’équipage, sept marins non gradés du Guéthary ont été interrogés par la commission locale du Havre.
Le capitaine Pédron a répondu par écrit en présence de l’Administration de l’Inscription Maritime à Binic, à deux questions dont la teneur avait été transmise à ce quartier par celui de Rouen.
Considérations et avis :
D’après les dépositions des navires, il semblerait que l’échouage est survenu au cours d’un virement de bord, mais dans un délai plus court que celui que laisse supposer le rapport du capitaine, document qui au point de vue de la notation du temps manque de précision. Ces dépositions ne mentionnent pas le virement de bord, qui, au dire du capitaine, a précédé immédiatement l’évolution à laquelle elle font allusion. En dépit de leur laconisme ces dépositions laisseraient supposer que la manœuvre a été tentée lorsque le navire était plus rapproché de terre que ne l’indiquent le rapport et l’interrogatoire du capitaine. Si elles ne sont pas entachées d’erreur, il est hors de doute que le virement de bord lof pour lof devait fatalement amener à la perte du trois-mâts.
Il y a néanmoins, de considérer qu’au point de vue technique, des dépositions manquent absolument de netteté, qu’en outre, quatre des sept marins interrogés ont signalés les défauts de caractère, la brutalité et même les habitudes d’intempérance de leur capitaine, qu’en conséquence l’obscurité peut être tendancieuse, de leurs déclarations, enlève à leur témoignage, une grande partie de leur valeur.
La commission a donc renoncé à faire état des dépositions des marins du Guéthary, comme élément d’appréciation des causes du naufrage et s’est efforcée de se faire une opinion par l’unique examen du rapport de l’Interrogation du capitaine Pédron.
La commission ayant, par délégation, demandé à ce navigateur pourquoi naviguant dans des parages relativement dangereux il avait tenté à s’éloigner de terre, il a répondu en substance qu’il avait pensé avoir largement le temps de virer de bord lof pour lof et que l’évolution d’ailleurs lui avait donné raison, puisque les circonstances lui ayant imposé une deuxième évolution il avait encore beaucoup plus d’espace qu’il ne fallait pour virer de bord.
Une remarque s’impose : le capitaine n’a pas répondu à la question des vents variables : c’est qu’en effet, il y a là un défaut de prévoyance.
Il allègue qu’il se basait sur une vitesse de courant indiqué par la carte et s’est aperçu trop tard, il l’avoue que le courant était fort. Il y a là encore défaut de jugement ou insuffisance dans la surveillance de la route par le relèvement des feux qui étaient en vue par temps clair. Le capitaine revient, dans cette même réponse, à la paresse du navire à obéir à la barre, en dépit de la vitesse, et ce défaut de qualité évolutive avait été le principal sinon le seul argument de son rapport de mer.
Les circonstances de vent, de mer et de voilure étant les mêmes dans les deux évolutions qui se sont succédés sans interruption, il est difficile d’admettre que le navire se soit refusé à abattre uniquement parce que le courant a apparu plus violent au capitaine à la distance de 3 milles qu’il ne l’avait initialement. S’il s’était agit d’un virement de bord vent devant, il est fort possible que le Guéthary ait pu être gêné pour venir dans le vent, mais le capitaine a décrit pour sa dernière évolution un vrai virement de bord « lof pour lof en culant » en masquant les deux phares carrés.
En pareil cas, un voilier qui cule et qui dérive, arrive, surtout lorsqu’il a trois milles à courir pour effectuer son abattée, et, s’il est ardent, comme l’a déclaré le capitaine, il revient au vent aussitôt au vent après le vent arrière a été dépassé.
Le capitaine affirme, en répondant à la deuxième question, qu’il a été obligé de virer une deuxième fois, à moins d’aller sûrement à la côte. Il n’était pas en mesure, d’après sa déclaration, de virer vent devant.
En présence des dangers, qu’il pouvait et devait prévoir d’une évolution aussi lente il aurait été mieux inspiré en venant dans le vent ce qu’il lui était facile puisque son navire était ardent, et en mouillant ses ancres.
Or bien qu’il eut devant lui la terre et les feux de la côte, il n’a de son aveu, songer à tenter cette manœuvre suprême pour sauver son navire, qu’alors elle était déjà devenue impraticable, le Guéthary étant poussé vent arrière à la côte.
La commission, en présence des pièces du dossier, est conduite à admettre comme vraisemblable les raisons suivantes du naufrage.
Le capitaine n’a pas posséder la notion exacte de la distance à laquelle il se trouvait de l’île Chairn.
Il n’a pas tenu compte suffisamment de l’inconstance des vents en ces parages ni de la force des courants.
Si, seul juge des qualités évolutives de son bâtiment, il n’a cru devoir rétablir la voilure convenant au louvoyage, il n’a pas montré une aptitude manœuvrière suffisante pour élever par une autre manœuvre, son navire au vent du danger.
Au surplus, il n’a pas tenté, en se voyant aller, sous voiles, à la côte, de manœuvrer pour casser son erre et mouiller des ancres pour sauver le bâtiment qu’il commandait.
De tout ce qui précède, il ressort que le capitaine Louis Pédron semble n’avoir pas pris en temps voulu les dispositions de manœuvre susceptible d’assurer le mouvement qu’il voulait faire.
Le 7 janvier 1915.
Capitaine Louis Pédron à Saint-Quay Portrieux, hôtel du Talus.
Question 1 : Naviguant dans les parages où les vents sont variables en raison du grand nombre d’îles, de pointes et de canaux, pourquoi avez-vous attendu d’être à 5 milles d’un danger pour prendre la bordée du large ? Vous saviez pourtant qu’un courant violent portait à terre, puisque c’est vous qui le dites dans votre rapport.
Réponse : Louvoyant entre la côte d’Irlande et la côte d’Ecosse depuis 36 heures avant le naufrage du Guéthary et en certains endroits les 2 côtes n’étant éloignées que de 18 à 20 milles, j’étais obligé de m’y approcher de terre à 20 milles au maximum. D’ailleurs cette distance est en temps normal plus que suffisante pour virer de bord même en tenant compte du courant et la preuve, c’est que j’ai viré de bord une première fois.
Les vents m’ayant refusé d’au moins 3 quarts, j’ai été obligé de revirer de bord une seconde fois.
A ce moment j’était encore à au moins 3 milles de terre. Si mon navire avait pû obéir au gouvernail, j’avais encore beaucoup plus d’espace qu’il ne fallait pour virer de bord.
Pour le courant, je savais (quoiqu’il ne fût pas porter sur la carte) qu’il en existait mais seulement de 2 à 2 ½ à l’heure. C’est seulement lorsqu’il était trop tard que je me suis aperçu que le courant était si fort et alors que toute autre manœuvre m’était impossible.
Question 2 : Le temps était maniable. Pourquoi au cours de la bordée qui mettait le capitaine à un quart au vent du Sud ( ????) de Port Hellen n’avez-vous pas rétabli la grand’voile et la brigantine, qui vous aurait permis de virer de vent devant ?
Très sous venté déjà par le premier virement de bord que dans des conditions de voilure par vous indiquées, avez dû effectuer vent arrière, vous aviez le devoir après ( ?) de tout tenter pour ne pas perdre au vent une seconde fois, comme vous l’avez fait nécessairement par votre deuxième virement de bord lof pour lof.
Réponse : En effet, le temps n’était pas très mauvais, quoiqu’il ventât forte brise.
Je n’ai établi la grand’voile ni la brigantine parce que je n’ai pas continué à courir bâbord amures. Mon premier virement de bord n’était pas encore terminé lorsque les vents ont changé de l’Est Sud Est au Sud Sud Est, et aussitôt, à moins d’aller sûrement à la côte, j’ai été obligé de revirer une seconde fois.
Les focs et voiles d’étai, n ‘étant pas encore changés, ni, la voilure rectifiée, il m’était absolument impossible de virer vent devant. De plus, le navire avait déjà 17 mois de carène, et était sale en dessous ce qui gênait beaucoup pour le virement vent devant.
Binic, le 30 novembre 1914, Pédron.
Enquêtes sur les naufrages et accidents de mer
Déposition de L’Emeillat Yves-Marie, matelot.
5 - Navire en bon état
9 - chargé de nickel- Pas de pontée
10 – 23 hommes – pas de passagers
23 – A bord depuis le 17 janvier 1914
25 – Le navire a-t-il éprouvé, depuis que le déposant est à bord, d’autres incidents de mer ? Nous avons été abordé en rade de Barry Dock par un steamer anglais. Le bout de dehors a été cassé.
27 – Destination du navire : De Thio à Glasgow.
28 – Dernière relâche ? Porto Praya (îles du Cap Vert) du commencement de septembre.
37 – A quel endroit le sinistre est arrivé ? A 9 milles au large de la côte d’Ecosse, près Ardmore (Islay) à 2 heures du matin, le 21 octobre 1914.
39- Vitesse du navire au moment de l’accident ? 5 ou 6 nœuds, vent arrière, tout dessus, moins la grand’voile et la brigantine. Nous étions en train de virer de bord, lof pour lof, venant de bâbord amure, le vent était de Sud Sud Est, je crois.
40 – Jetait-on le loch régulièrement ? Le loch était dehors.
41 – A-t-on sondé ? La veille au soir, vers 5 heures avec des plombs de sonde.
12- A-t-on sondé l’intérieur du navire ? Oui, depuis l’échouage puisqu’au moment où on a quitté le navire, les pompes, n’ont pas fonctionné, quoique étant en bonne état. J’ignore pourquoi on n’a pas fait pomper, j’étais à la manœuvre, tout le monde était sur le pont. J’étais sur l’arrière, je ne sais s’y avait un homme en vigie. Généralement, il y en avait toujours à bord.
46- Etat de la mer ? Belle mer, jolie brise, pas de brume. On voyait la terre et un feu blanc à éclat de force moyenne à une distance de 6 ou 8 milles.
47- Où se trouve le déposant ? Au moment de l’accident, j’étais a brosser sur les bras de misaine.
48 – Le capitaine était sur la dunette
49- Pas de pilote
50- Manœuvre ? On virait de bord lof pour lof, après l’échouement on a tout cargué, moins la misaine et le petit hunier fixe.
52- feux étaient clairs.
53- On a lancé des fusées.
59-Cause du naufrage ? Echouement
60- L’arrimage du chargement était-il défectueux ? Oui, il y avait un bardi mais tout le chargement était à fonds de cale. Il n’y avait aucune répartition dans le faux-pont. Nous n’avons pu rien voir. Le lendemain le navire était plein jusqu’au faux-pont.
61- Ouvertures du pont, sabords et hublots étaient –elles fermées ? oui
65 – Abandon du navire après délibération de l’équipage ? Oui, on a été unanime.
66- Embarcation de sauvetage : Nous sommes servi du va-et-vient, aucune embarcation se sauvetage n’était parée pour mettre à l’eau.
67-Embarcartions: contenaient-elles des engins de sauvetage, l’eau, vivres, un compas, une carte ? Non, il n’y avait rien dedans sauf deux ou trois avirons et un mât sans voile. Je sais que les voiles étaient dans la voilerie. Quand au reste, j’ignore où il était.
70 – Le capitaine a-t-il sauvé ses instruments ? L’équipage ses effets ? Les chronomètres, deux malles et un sextant. J’ai sauvé une grande partie de mes effets.
71- Papiers de bord ? J’ignore.
73- Le capitaine a-t-il quitté le bord le dernier ? Oui sa conduite a été exempte de tout reproche dans le naufrage.
Mais sa conduite habituelle à la mer laissait quelques fois à désirer. Il nous traitait et nous insultait brutalement. Je l’ai vu même frapper le matelot, un matin, dans le port de Porto Praya alors qu’il venait de terre. Il était un peu en état d’ivresse et Lebrun avait la figure en sang. Son écorchure au nez a duré quelques jours.
Le capitaine est un bon marin.
76-Pas d’accidents de personnes ? Non.
Le 2 novembre 1914.
Déposition de Lebrun Jean Yves, matelot :
J’étais de quart en bas, quand à 2 heures ½ du matin environ, on a appelé sur le pont pour virer de bord. Le temps était clair, on voyait la terre et un feu blanc à éclats. La mer était clapoteuse et il y avait bonne brise. Quand je suis monté sur le pont, le navire était bâbord amures. On a viré de bord vent arrière. C’est à ce moment qu’on a touché.
On a cargué tout, sauf le hunier fixe. Après on n’a pas pompé, mais on a sondé. Le bateau a commencé à faire de l’eau vers 6 heures du matin.
On a disposé les canots de sauvetage mais il n’y avait rien du matériel d’armement. On a établi le va-et-vient en lançant le grappin à terre vers 5 à 6 heures du matin. Un lieutenant, avec un pêcheur anglais qui se trouvait là, partis à Port Hélène pour porter un télégramme à Glasgow. Nous avons débarqués nos malles et nos effets. Le capitaine a quitté le bord le dernier après délibération de tout l’équipage. Sa conduite a été irréprochable dans le naufrage.
Sa conduite à bord laissait à désirer, je l’ai vu quelques fois en état d’ébriété légère. C’est dans cet état, qu’il se montrait brutal parfois. A Porto Praya, à bord, à son retour de terre, où il s’était grisé légèrement il m’a menacé de son revolver chargé (il a tiré un coup devant moi en l’air). Ceci se passait sur le pont, près du poste des maîtres, au pied du grand mâts. C’était vers 8 heures du soir. Peu après, le capitaine, pendant un discussion, me donna plusieurs coups de poing dans la figure. J’ai saigné d’écorchure au nez et j’ai eu les yeux contusionnés pendant quelques jours. J’ajoute que moi aussi, j’avais été à terre et que j’étais revenu à bord assez pris de boissons.
Un autre jour, le 8 août, il m’a menacé et injurié et retranché pendant 3 jours.
Vincent Bodeur, Cuisinier :
Quand on a voulu virer de bord, je suis monté sur le pont, après l’échouement [ ….] On a établi le va-et-vient au moyen duquel nous sommes descendus sur l’île. Nous avons débarqué tout les effets et quelques objets. Nous sommes restés 3 jours sur l’île. Nous avons armé les embarcation le 3e jour, pour aller à une grande île, où nous avons trouvé une ferme d’où nous sommes repartis pour Port Helène. Nous avons embarqué là sur un vapeur qui nous a ramené à Glasgow.
Le capitaine a quitté le bord le dernier.
A terre, il se grisait souvent, à bord je l’ai vu un peu éméché à la mer. Je l’ai vu un matin frapper Lebrun, qui était complètement ivre, sur le pont, au roof à l’arrière. Lebrun saignait.
Joseph Le Goarzion, matelot :
37- J’étais de quart. Quand on a viré de bord à 2 heures du matin, nous avons touché de l’avant, en vue de terre, le feu d’un phare était clair et ce dernier se trouvait à 10 mètres de nous environ.
Après l’échouement, nous avons cargué toutes les voiles puis disposé les embarcations qui ne contenait pas tout le matériel nécessaire.
Nous avons établi un va-et-vient et nous sommes descendus à terre pour y camper la nuit.
Le lendemain, on a armé 2 canots, avec lesquels nous avons été dans une île voisine où nous avons trouvé du secours.
Le capitaine a lancé des fusées, mais aucun des vapeurs qui passaient au large ne s’est dérangé. On a fait le nécessaire pour sauver tout ce qu’on a pu. Le capitaine a quitté le bord le dernier après d ?. Il s’est bien conduit dans le naufrage.
Pierre Fout, matelot :
J’étais de quart du moment de l’échouement. Depuis 4 ou 5 jours on virait de bord au moins tous les quarts. Le navire s’est mis au plein à proximité d’une île sur laquelle il y avait un phare à feu blanc à éclat. Le temps était clair. La mer était clapoteuse et la brise était fraîche.
Aussitôt l’échouement, cargué les voiles, puis on pris toutes les dispositions pour sauver l’équipage et le plus d’objets possible. […].
Corentin Cogan, matelot :
[ même déclaration]
Edmond Leroy, mécanicien :
J’ai donné la main à la manœuvre pour virer de bord un peu avant l’échouement. Le temps était clair. […].
Board of Trade
Examination on oath
Instituted by the receiver of wreck at the port of Greenock (Islay)
3 060 french ton of nickel
Société Anonyme de Voiliers
Tonnage : 1929-87 tons
12- That the said ship proceeded on the said intended voyage as above stated.
“till I met an English ship of war “The Armadale Battle” 40 miles south of Praya which informed me of the War. Instead of going (on) my way. I went into Praya and stayed 23 days there according to instructions from the owner. I sailed from there for Glasgow on 15th September last”.
Louis Pédron. Port Ellen, 26th Octuber.
Devant Sgt John Brown
Extrait du registre des Actes de la Navigation tenu à la Chancellerie du consulat de France à Glasgow pendant l’année 1914.
Rapport du capitaine du 3 mâts Guéthary de Rouen, naufragé à l’île Chairn (Islay) Ecosse.
Je déclare comme capitaine du 3 mâts Guéthary de Rouen, que suis parti de Praïa le 15 septembre à 2 heures de l’après-midi : appareillé à la voile et fait route pour passer au Sud des îles Fogo et Brava. Le 17, vers 5 heures du soir à milles au sud de Brava, rencontré le croiseur auxiliaire « Empress of Britain » qui nous a fait mettre en panne et envoie deux officiers visiter notre bord. Nous avons eu des petits vents variables et des alizés de Nord-Est faibles jusqu’au 26 septembre par 30° Nord 40° Ouest.
De ce jour, jusqu’au 18 octobre nous avons eu des brises variables faibles la plupart du temps.
Le 18 octobre, nous avons aperçu la côte d’Irlande dans l’après-midi. Les vents étaient Sud et ont halé le Sud-Sud-Est. Le 19, aperçu la terre et le feu d’Oversay à 6 heures du soir. Louvoyé depuis ce moment jusqu’au 20 pour doubler l’île Islay et rentrer dans la mer d’Irlande.
Le 21, vers 2 heures trente du matin, étant en vue du feu de l’île Chairn à environ 5 milles dans le Sud, voyant que le courant portait au Nord et ne voulant pas être rafalé entre le Mulle of Cantyre et l’île Islay j’ai fait virer de bord lof pour lof pour prendre les amures à bâbord. Nous courions d’abord tribord amures sous toutes voiles sauf la grand-voile et la brigantine que j’ai fait carguer pour sonder. Nous avions le cap au Nord 35 Est vrai.
Des vents étaient Est Sud Est. Pendant le virement de bord les vents m’ont refusé c’est-à-dire halé le Sud de ¾ du compas si bien que bâbord amures nous n’avions plus le cap qu’un quart au vent du feu de Port Ellen le courant était très violent et nous portait à terre.
Voyant que je n’aurais pas doublé la terre Islay sous ces amures, je donne l’ordre de revirer de bord immédiatement et de laisser porter (toute la barre).Nous brassions les 2 phares à la fois au vent pour aider le navire à abattre, mais il a été pris dans un fort remous de courant et n’obéissait que très difficilement au gouvernail.
Le navire sous l’effet combiné du courant et du vent très fort à ce moment emportait une très grande vitesse et n’arrivait que très lentement. IL avait au moins parcouru trois milles avant d’être vent arrière. Il venait de recommencer à prendre par tribord arrière d’environ 2 quarts et lofait très vite. Lorsque nous sommes échoués à environ 50 mètres de la pointe de l’île Chairn.
Par suite de la vitesse, au moins 12 nœuds avec le vent et le courant il ne fallait pas songer à mouiller. Nous aurions tout brisé devant et cela m’eût servit à rien et jusqu’au dernier moment j’ait toujours cru pouvoir doubler.
J’attribue tout au courant qui a empêché mon navire de gouverner. Aussitôt à la côte le navire a commencé à talonner violemment, la mâture donnait de violents chocs faisant craindre qu’elle ne tombe.
Ce que voyant j’ai fait immédiatement préparer les 2 embarcations de sauvetage et amener à hauteur de liste. Nous avons cargué toutes les voiles sauf le petit hunier fixe que j’ai laissé dessus ainsi que les focs pour empêcher le navire de venir en travers à la côte. Pendant tout ce temps nous n’avons cessé de faire signaux de détresse. Nous avons aperçu un navire à vapeur passant près de nous et qui ne s’est pas dérangé pour voir ce que nous avions. Nous avons sondé à la cale et dans le pic avant et avons vu que le navire ne faisait pas eau, et nous avons aussi sondé le long du bord en différents endroits et constaté que le navire était échoué seulement par l’avant. Partout ailleurs, il y avait entre quatre brasses et demie et 5 brasses et demie de fond.
J’ai fait installer un va-et-vient à terre avec la bouée culotte car la mer était très grosse pour permettre de débarquer les embarcations et envoyé sur l’île 4 hommes pour demander des secours.
Ils ont aperçu un pêcheur qui est venu accoster l’île entre cette dernière et la terre.
J’ai alors envoyé le 2e lieutenant à Port Ellen télégraphier pour demander du secours.
Le navire talonnait toujours et a commencé à faire eau à 10 heures. A 2 heures voyant que aucun secours n’arrivait et craignant que la mâture ne tombe et que le navire ne fut brisé j’ai consulté les officiers et les principaux hommes de l’équipage et d’accord avec eux nous avons décidé de quitter le navire pour la nuit tout en restant à veiller s’il venait du secours. Nous avons débarqué les effets des hommes avec le va-et-vient et je suis descendu le dernier à 3 heures.
Nous avons campé sur l’île où j’ai fait envoyer quelques vivres du bord. IL y avait 1 mètre 20 d’eau dans la cale à ce moment. La nuit a été terrible et il a venté en tempête. Le lendemain matin, 22, je suis retourné à bord avec quelques hommes et nous avons réussi à envoyer une embarcation de sauvetage en dedans de l’île Chairn pour établir une communication entre la terre et le navire.
Il y avait à ce moment, 3 mètres 50 d’eau dans la cale. Je suis allé ensuite à Port Ellen pour demander du secours qui d’ailleurs n’est pas venu. Le 23, je suis encore retourné à bord et constaté que le navire fléchissait de l’arrière, l’eau était arrivé au niveau de la mer. J’ai encore fait débarquer la chaloupe car l’autre embarcation de sauvetage et tout son armement avait été enlevée pendant la première nuit par la mer. J’ai alors résolu d’envoyer le second à Glasgow prévenir de notre situation et demander du secours.
Le 24, voyant que l’arrière fléchissait de plus en plus j’ai alors résolu d’abandonner le navire et de transporter l’équipage et les bagages à terre avec les 2 embarcations. Nous sommes allés dans une ferme appelée Ardmore où nous sommes resté jusqu’au 25.
Le 25, l’agent de l’assurance est venu mais la mer était très mauvaise et il a été impossible d’aller à bord. J’ai fait envoyer l’équipage à Port Ellen qui est distant des lieux du naufrage d’environ 16 à 18 kilomètres.
Le 26, je suis retourné à bord avec l’agent de l’assurance et un représentant d’une compagnie de sauvetage. L’assurance s’est arrangée avec cette compagnie de sauvetage pour sauver le navire après que je leur ai dit verbalement que je considérais le navire comme perdu et l’abandonnais à l’assurance pour le sauvetage tout en faisant toutes réserves pour l’armement qui se réserve le droit de pouvoir reprendre le navire s’il est réparable après le sauvetage.
Je crois que le navire pourra être renfloué si les secours viennent le plus vite possible et après avoir pompé l’eau et déchargé une partie de la cargaison.
Tel est mon rapport que j’affirme véridique et sincère, me réservant le droit d’amplifier…
Rapport affirmé en chancellerie par l’équipage du dit navire, à la date du 30 octobre 1914.
Glasgow le 14 novembre 1914.
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